PÉRIGNAC : PAICHEL ET LE TRÉSOR D’ANAKILIMON

Le missionnaire est retourné un moment sur son îlot intemporel avant de se faire projeter de nouveau dans le temps à l’époque de l’Atlantique. C’est toutefois en Australie qu’il devra débuter son aventure avec des petits singes féroces. Primus Tasal saurait y reconnaître ses ancêtres tout comme l’Homme a évolué physiquement depuis l’époque des premiers humanoïdes terrestres. Voici : Paichel et le trésor d’Anakilimon.

Il y a peut-être six mille ans de cela, l’Australie ou encore le continent Austral était déjà peuplé par deux tribus d’indigènes qui prétendaient venir de l’île feu à cause des pierres d’oricalque qui s’y trouvaient un peu partout comme des tisons rougis par le soleil. En réalité, le seul endroit au monde où de telles roches pouvaient exister, c’était bien en Atlantide. En effet, jamais on n’en trouva de pareilles ailleurs et surtout qui brillaient comme un feu ardent. Donc, en toute logique, les indigènes des côtes de la future Australie étaient les descendants des Atlantes. Si cette théorie semble plausible, il faudra bientôt changer d’avis au sujet de l’origine de nos étranges primates dont nous parlons. Les tribus australiennes étaient physiquement semblables à notre ancêtre singe et cependant, elles étaient mentalement de véritables humains. On n’a qu’à s’imaginer des singes intelligents pour se faire une image des Ba-Na-Nutes et de leurs voisins Yopis qui étaient, sois dit en passant, vraiment cruels et sanguinaires.

À cette époque, il arriva un étrange visiteur qui traînait un gros coffre en or, muni de roues vraiment belles puisqu’elles étaient sculptées et ornées de pierres précieuses. Les primitifs qui virent cet homme grand et bossu pour la première fois, prirent celui-ci pour un esprit de la mer lorsqu’ils comprirent qu’il venait d’aborder sur la grève avec un radeau. Mais le pauvre homme n’était pas un dieu ou un esprit, mais Samia, l’élève d’Anakilimon, un puissant Maître Atlante. Celui-ci avait confié son trésor à ce bossu afin qu’il le transporte à travers le monde. Le voyageur se retrouva en Australie et sans attendre, il traîna son gros coffre sur le sable sans savoir pourquoi son maître disparu ne lui a jamais demandé de s’arrêter quelque part. Il faut dire que Samia était un pauvre d’esprit qui suivait à la lettre les recommandations d’Anakilimon. Comme il devait passer à travers la forêt vierge, il n’hésita pas à soulever le gros coffre avant de le transporter sur ses puissantes épaules. Samia était d’une force physique extraordinaire et par prudence, les habitants des côtes le suivirent de loin pour tenter de savoir où cet esprit marin avait l’intention de se rendre avec cette étrange chose dorée. Le coffre fut bientôt déposé sur le sol dès que notre homme sentit ses genoux fléchir de fatigue. En effet, Samia se faisait vieux et comprenait parfaitement qu’il n’était plus en mesure de poursuivre sa route pour bien longtemps. Les hommes-singes le craignaient terriblement même si aucune arrogance et méchanceté n’apparaissaient dans le doux regard du voyageur. On aurait dit un petit enfant dans un corps de géant. Après plusieurs jours, quelques primitifs osèrent l’approcher pendant son sommeil et déposèrent quelques fruits devant lui pour lui faire comprendre qu’ils désiraient son amitié. Le voyageur se réveilla aussitôt pour leur sourire. Samia fixa un long moment ces petits hommes très laids et se décida ensuite à leur parler mentalement. Ils comprirent que ce vieil homme possédait ce don de communiquer avec eux sans articuler ses lèvres.

C’est ainsi que débuta une courte amitié entre les habitants australiens et l’étranger qui disait venir de l’Atlantide. C’est lui qui leur parla des pierres de feu et de la géographie de sa terre natale. Il expliqua finalement que son gros coffre contenait un miroir fantastique qui montrait toujours la vérité à celui qui se regardait dans l’intention d’en apprendre davantage sur lui-même. Les hommes-singes qui vivaient à cette époque sans se donner de nom véritable voulurent donc se mirer sur le miroir de vérité et ce fut ensuite le début d’une division au sein de cette tribu primitive. Un primate vit un singe aux dents pointues le regarder d’un air menaçant, tandis qu’un autre voyait une figure humaine. Samia voulut faire comprendre à ceux qui se voyaient monstrueux qu’ils ressemblaient simplement à leurs ancêtres encore inconscients de leur nature humaine, tandis que pour d’autres membres de la tribu, ce passage vers l’humanisation s’était déjà fait. C’est pour cette raison qu’ils se voyaient avec des visages humains. Le pauvre homme était trop naïf pour réaliser que son miroir dérangeait les primitifs encore trop bêtes pour accepter cette différence entre eux. Ils étaient intelligents comme des hommes, mais l’orgueil les obligeait à refuser de se comparer encore à des animaux cruels et sanguinaires. En effet, certains habitants agissaient exactement comme des fauves, tandis que d’autres étaient déjà sur le chemin de la sagesse.

La force physique de bon nombre de mécontents se retourna finalement contre Samia. Il fut tué sauvagement et dévoré par ceux qui doutaient encore qu’il puisse y avoir la moindre vérité à voir dans ce gros coffre. Ils s’étaient vus comme des bêtes féroces puisqu’ils agissaient comme telles. Mais comment expliquer à des animaux intelligents qu’ils ne sont pas encore des hommes? Pour eux, l’image du singe féroce ne pouvait être que celle d’un esprit dévoreur et non le reflet de leur propre nature. Il fallait donc nourrir ce monstre pour l’empêcher de sortir du coffre et s’emparèrent donc des plus faibles de la tribu pour les jeter rapidement dans la boîte dorée. À leur grande surprise, ceux-ci disparurent dans le miroir. Ils passèrent simplement à travers ce verre étrange pour aboutir dans une autre période de l’histoire. En effet, ce miroir était également une porte entre deux époques, mais nos primates ne le savaient pas.

Pour éviter de se faire jeter dans le coffre, des centaines de primitifs fuirent leurs frères stupides pour finalement se bâtir un autre village dans la forêt. Le trésor d’Anakilimon demeura entre les mains de ceux qui se donnaient fièrement le nom de Yopis, ce qui voulait dire dans leur langage primitif : les maîtres. De leur côté, les humanisés se firent suggérer celui de Ba-Na-Nutes après que leur chef affirma avoir rencontré un étrange singe qui disait s’appeler Primus Tasal. Il lui dit en marchant sur une grosse bille, ressemblant à un globe terrestre : “ Bonjour à toi, qui que tu sois! Mon nom est Primus Tasal mais celui de notre ancêtre commun est Bananus. Je suis venu de très loin pour t’apprendre que notre race deviendra un jour très évoluée grâce à Aurore qui enfanta Bananus à une époque où des animaux énormes peuplaient la Terre. Je n’ai pas le droit de te dire autre chose sur notre Mère, mais sache que Bananus était le fils d’une humaine et non d’un animal. C’est pour cela que votre tribu doit poursuivre son évolution en s’identifiant à Bananus et non aux Yopis, vos voisins. Un jour, un missionnaire viendra vous aider à reprendre le coffre qui appartiendra ensuite à notre race si nous savons utiliser son pouvoir avec sagesse. ”

Dans la langue primitive, Bananus se disait simplement : Ba-Na-Nutes. Ainsi, les premiers membres de cette race attendirent longtemps l’arrivée de ce missionnaire promis par Primus Tasal. Son nom était Fontaimé Denlar Paichel, l’un des rares humains à pouvoir voyager dans un étrange couloir Intemporel qui le conduisait non pas où il désirait aller dans l’histoire, mais simplement là où ses Maîtres de l’invisible décidaient de l’envoyer en mission.

Une pluie de pierres s’abattit près d’un voyageur qui venait à peine de sortir d’un couloir lumineux pour se promener prudemment sur la plage. Fontaimé Denlar Paichel réalisa qu’il n’était pas le bienvenu à cet endroit dès qu’il vit une centaine d’hommes-singes le poursuivre avec des genres de lances assez pointues, à son avis, pour lui faire de jolis trous dans la peau. Il fallait fuir, mais sûrement pas en direction de la mer où des pêcheurs aux visages belliqueux s’approchaient lentement de lui dans le but de l’encercler. Il restait la forêt et c’est de ce côté-là que le missionnaire décida de semer ses poursuivants. Étrangement, les Yopis ne tenaient pas du tout à s’aventurer dans cette jungle où une bête monstrueuse mordait ceux qui osaient traverser son territoire. Paichel l’ignorait...évidemment! À peine fut-il libéré des hommes-singes, qu’un cri se fit entendre derrière lui. On aurait dit des aboiements atroces et même des hurlements désespérés. Cela fut suffisant pour que le fugitif s’arrête subitement afin de tendre une oreille attentive. Les jappements plaintifs ne trompaient pas : un chien criait à l’aide derrière une petite colline boisée qui se trouvait à la droite de notre homme. Il s’y rendit sans même hésiter et vit alors un énorme chien à demi enfoui dans une mare boueuse. La bête fixait le missionnaire d’un air apeuré puisqu’elle réalisait que cette vase noire l’entraînait lentement au fond. Paichel se défit rapidement de son vêtement dans le but de s’en servir comme bouée de sauvetage. La bête comprit son intention et mordit aussitôt dans le costume.

- Ne le lâche surtout pas, lui dit Paichel en tirant le chien hors de la vase. Voilà, tu es libre, mon ami.

- J’ai bien failli y rester, lui répondit l’animal en jappant de joie. Je te dois la vie.

- Je n’ai fait que mon devoir, se contenta de répondre l’homme en remettant son vêtement malgré qu’il soit très sale.

- C’est étrange, on dirait bien que tu comprends mon langage.

- Oui, j’ai ce don particulier de pouvoir communiquer avec tous les êtres vivants de l’univers. Quel est ton nom, mon brave chien aux crocs énormes?

- Je n’ai pas besoin de nom puisque je suis le seul animal de mon espèce dans cette forêt.

- D’accord, mais à présent que nous sommes deux, j’aimerais bien pouvoir te trouver un nom pour t’appeler au besoin. Que dirais-tu celui de Boubou?

- Pourquoi Boubou? Est-ce un nom de chien?

- Mais c’est un joli nom pour quiconque aime qu’on se souvienne facilement de son nom. Tu vois, le mien est Fontaimé Denlar Paichel et la plupart des gens préfèrent simplement m’appeler Paichel puisqu’ils oublient souvent mes deux prénoms. Mais celui de Boubou est facile à retenir, surtout s’il te rappelle que tu as bien failli te faire enliser dans une mare de boue. La boue-boue, c’est Boubou!

- La boue, oui je vais m’en souvenir toute ma vie et surtout que c’est toi qui m’as sauvé d’une mort certaine et sale. Alors j’accepte volontiers ce joli nom de Boubou. Tu sais, Fontelar...

- Fontaimé, mais fais comme tout le monde et appelle-moi simplement Paichel.

- D’accord, tu sais Paichel que je suis reconnu pour être un chien cruel et féroce? C’est ce que disent les Yopis parce que je les mords sans hésiter s’ils osent s’aventurer sur le territoire de mes amis, Ba-Na-Nutes. Ils me nourrissent et me soignent lorsque je suis malade. En retour, je les défends contre leurs voisins carnivores. Ils mangeraient tous mes amis si je n’étais pas là pour les chasser en dehors de la forêt.

- Les Ba-Na-Nutes sont gentils?

- Ils sont surtout amusants avec leurs grosses boules de bois sur lesquelles ils voyagent sur les sentiers qui entourent leur village. On dit que cette habitude de marcher sur une boule vient de leur chef qui voulait imiter un sage voyageur qui se disait le dernier descendant de la race des Ba-Na-Nutes. Mais comment peut-on être le dernier d’une race qui vient à peine de commencer?

- C’est très simple à comprendre, mon Boubou, si on voyage comme moi dans le temps. Lorsque tu m’as dit que les Ba-Na-Nutes aimaient marcher sur des boules, j’ai aussitôt songé à mon ami, Primus Tasal. Je l’ai rencontré dans ma dernière aventure que je viens à peine de terminer dans une tribu néandertalienne. Tu sais, celle-ci n’existe plus au moment où je te parle puisque l’homme de Neandertal vivait sur Terre il y a plusieurs milliers d’années de cela. La seule chose que j’ai rapporté de cette époque-là, c’est mon vêtement, fait en peau de rhinocéros laineux. Tu sais, cet animal n’existe plus, tout comme les Néandertaliens. En ce qui concerne Primus Tasal, j’ignorais qu’il était le dernier des Ba-Na-Nutes, mais par contre, je savais qu’il pouvait voyager partout dans le temps comme moi. Il lui fut facile d’aller visiter les premiers membres de sa race qui deviendra celle des Maîtres de la forêt verte. C’est Primus qui me l’a dit et je crois qu’il avait de bonnes raisons pour venir s’entretenir avec le chef des Ba-Na-Nutes.

- Tu sais, on raconte au village que Primus Tasal a promit d’envoyer un missionnaire qui aidera les Ba-Na-Nutes à reprendre un coffre énorme qui se trouve encore entre les mains des Yopis.

- Un missionnaire, dis-tu? C’est peut-être moi après tout. Mes Maîtres de l’invisible ne me disent jamais à l’avance quelle sera ma mission et encore moins à quel endroit je devrai l’accomplir dans le temps. Si Primus Tasal semble tenir à un coffre qu’il veut voir entre les mains de ses ancêtres, celui-ci doit sûrement être indispensable pour l’évolution de ceux de sa race. Il doit sans doute contenir des parchemins ou des trésors qui vont permettre aux Ba-Na-Nutes d’atteindre une grande sagesse.

- Pour le moment, dit le chien, le coffre appartient aux Yopis qui s’en servent pour offrir des victimes au monstre Nimala, celui qui a toujours faim de chair et de sang.

- Nimala? C’est un monstre qui garde ce coffre, n’est-ce pas?

- Pas exactement, Paichel; il vit au fond de celui-ci. On ne peut le voir, à moins de regarder soi-même dans le coffre. Les Ba-Na-Nutes disent qu’il n’y a aucun monstre dans celui-ci, mais simplement un miroir qui laisse voir la véritable nature de celui qui se regarde au fond du trésor. Il fut apporté ici par un géant pacifique, mais les Yopis l’ont tué avant de le dévorer.

- Oui, je crois comprendre pourquoi Primus Tasal désire confier ce coffre mystérieux à ses ancêtres qui en feront bon usage et grâce auquel leur civilisation évoluera rapidement. Mais entre nous, Boubou, je ne suis pas un guerrier pour me battre contre les Yopis. Ce n’est pas moi qu’on aurait dû choisir pour cette mission, mais un militaire de métier. J’ai eu droit à un chaleureux accueil de ces primates qui me laisse supposer qu’ils ne sont pas le genre d’êtres avec lesquels on peut s’attendre à dialoguer pacifiquement.

- Si tu veux Paichel, je vais te conduire auprès des Ba-Na-Nutes qui t’attendent depuis bientôt dix ans. Il ne faudrait pas les décevoir en refusant les honneurs qui t’attendent dans cette tribu. À chaque jour, ils se rassemblent autour de Nelu, leur chef, afin de lui demander s’ils doivent préparer la hutte du missionnaire. Nelu baisse alors les yeux pour leur faire comprendre que ce n’est pas encore aujourd’hui qu’il arrivera. Ce chef est très vieux et c’est mon meilleur ami. Tu comprends, il t’attend depuis que Primus Tasal lui promit un missionnaire.

- Tu as raison, je n’ai pas le droit de le décevoir, mon brave Boubou. Je trouverai bien un moyen de vaincre les Yopis si mes Maîtres veulent évidemment me seconder dans cette mission.

Paichel et Boubou marchèrent quelques kilomètres dans une épaisse forêt avant d’arriver dans une sorte de vallée ressemblant à un immense parc public, traversé un peu partout par des sentiers très larges et vraisemblablement réalisés par le passage régulier des billes de bois dont parlait le chien. Autour des routes se dressait le village des Ba-Na-Nutes. Ceux-ci étaient déjà passé maîtres dans l’art de construire des huttes en bois rond de toute beauté. On aurait dit des tours recouvertes de feuilles dont l’aspect général faisait penser à une longue chevelure verte. Paichel vit d’ailleurs quelques artisans réaliser une mèche en collant d’abord plusieurs feuilles le long d’une liane avec une résine pour ensuite rouler cette longue tige qui prit très vite la forme d’un fil. Il en faudrait des milliers pour terminer un toit, mais personne ne se pressait dans ce village. Le missionnaire vit plusieurs enfants exercer leur équilibre sur des billes énormes sous le regard amusé de leurs parents et amis.

Paichel ressentit une étrange sensation en examinant plusieurs hommes-singes juchés sur des boules de bois qu’ils faisaient rouler rapidement autour des enfants pour les impressionner. Il avait l’impression de voir son ami Primus Tasal en centaines de jumeaux. En effet, il n’existait aucun doute concernant les origines de ce petit singe intelligent qui aimait parfois se prétendre l’ancêtre commun de l’homme et du singe. Il voulait simplement faire comprendre qu’il possédait un corps de singe et une conscience humaine. On sait que l’Homme trouva ses racines dans un lointain ancêtre qui ressemblait au singe, mais on ignore que les Ba-Na-Nutes étaient les descendants d’une femme qui fut malheureusement victime d’une plante humanoïde lorsqu’elle se retrouva accidentellement à l’époque des dinosaures après avoir été attiré par le couloir de l’Intemporel. Un jour, une étrange tige ressemblant à une queue de singe féconda la pauvre Aurore qui mit ensuite au monde deux enfants singes dont l’un s’appelait Bananus et l’autre était Guenelle, sa jumelle. Celle-ci périt au cours d’une éruption volcanique, mais son frère trouva refuse en Afrique. Plus tard, ses descendants arrivèrent en Australie après avoir emprunté une étroite bande de terre qui reliait ces deux continents. Donc, en examinant les Ba-Na-Nutes, on est bien obligé d’admettre qu’ils descendent d’une humaine et non du singe. Les Yopis étaient évidemment inclus dans cette descendance humaine même si leurs moeurs laissaient à désirer.

Le missionnaire s’approcha lentement du village en compagnie du protecteur des Ba-Na-Nutes. Tous les regards se posèrent sur Paichel tandis que Boubou lui disait d’une voix émue :

- Regarde-les sans crainte puisqu’ils savent parfaitement que je ne t’aurais jamais conduit dans leur village si tu n’étais pas celui qu’ils attendent depuis si longtemps.

- Je te crois, mais je me sens tout de même ridicule de devoir me faire passer pour celui qu’ils attendent sans en être moi-même convaincu.

Nelu, le chef de la communauté se fit un devoir de venir accueillir lui-même l’étranger en lui disant sans attendre :

- Salut à toi, missionnaire de Primus Tasal. Je savais bien que tu viendrais bientôt à cause des Yopis qui veulent nous attaquer d’ici peu pour nourrir leur monstre qui n’existe pas dans le coffre, mais dans leurs têtes. Sois le bienvenu, qui que tu sois!

- Je suis Fontaimé Denlar Paichel, un pauvre homme qui ne sait même pas qu’il est sensé être votre missionnaire. Pardonne-moi ma franchise, mais je ne suis pas un héros pour jouer à me battre contre les Yopis. J’ignore même où je me trouve dans le temps.

- Tu es le missionnaire que nous attendions puisque Primus Tasal m’a dit que celui qui nous aidera à reprendre le coffre du Maître Anakilimon voyageait dans le temps comme lui. Viens, nous t’avons préparé une jolie hutte pour te reposer.

Paichel suivit Nelu et salua naïvement de la main les villageois qui se pressaient autour de lui sans toutefois lui adresser la parole. Notre homme entra dans cette coquette demeure où l’attendaient des centaines de fruits et légumes fraîchement cueillis et déposés en forme de bouquets dans un coin de la hutte. Étrangement, il n’y avait aucune banane parmi ces fruits. Soit qu’il n’en poussait pas dans cette forêt ou c’était peut-être un fruit que les Ba-Na-Nutes ne voulaient pas manger afin de se distinguer du singe. En effet, tout le monde aime bien associer la banane au singe et pourquoi pas, par extension, à d’autres images suggestives qui dépendent de l’imagination de chacun.

Après s’être reposé, Paichel reçu la visite de Nelu et de cinq autres membres de la tribu qui représentaient toutes les couches de la société Ba-Na-Nutes. Il y avait celle des bourgeons ou encore des enfants, celle des fleurs ou des adolescents, celle des arbres ou les adultes, celle des fruits ou des aînés et enfin, la couche des naturels. Celle-ci comprenait tous les membres de la tribu qui oeuvraient à la protection de la nature en aidant les bourgeons, les fleurs, les arbres et les fruits de la Vie. Ainsi, ces naturels étaient des sages Ba-Na-Nutes qui aidaient les différentes branches de la société à fonctionner harmonieusement en communauté. Ils intervenaient uniquement comme guides et non à titre de chefs spirituels. Les Ba-Na-Nutes croyaient uniquement en la simplicité en toute chose et à la liberté d’expression de chacun.

Paichel vit les représentants s’asseoir devant lui en demi-cercle et comprit qu’ils étaient venus s’entretenir avec lui. Il s’assit donc devant eux et attendit qu’ils lui posent des questions. Mais voilà, les Ba-Na-Nutes se taisaient afin de le laisser s’exprimer librement. Notre homme finit par leur dire en jouant à peigner sa barbiche de chèvre :

- Je suis Fontaimé Denlar Paichel.

- Nous savons, lui répondit un jeune bourgeon en riant de bon coeur.

- Bon, vous n’êtes pas très bavards, ajouta le missionnaire en souriant. Pouvez-vous au moins me dire à quelle époque nous nous trouvons exactement?

- À la nôtre, lui répondit un naturel d’un air amusé.

- Ce qui veut dire?

-Hé bien, nous savons seulement que tu es ce missionnaire qui doit nous aider à récupérer le coffre de Samia, lui dit Nelu. Tu nous demandes de te situer dans le temps parce que tu as ce pouvoir de le traverser comme un long sentier qui mène dans les différentes époques de l’histoire. Mais nous, comment veux-tu que nous sachions te renseigner puisque nous ignorons tout sur nos ancêtres et surtout sur celui qui se disait le dernier descendant de Bananus? Primus Tasal m’a simplement mentionné que notre race est issue d’une humaine qui vivait à l’époque des monstres dinosaures. C’est quoi un dinosaure selon toi?

- C’est une bête vraiment énorme qui vivait au début de l’histoire terrestre, il y a des millions d’années de cela.

- Ainsi, Bananus vécu à l’époque des premiers habitants de la terre?, lui demanda un membre de la tribu.

- Oui, une voix intérieure me dit que c’est quelque part en Amérique. Je m’y fie lorsque je dois répondre à des questions importantes. Malheureusement, elle répond rarement à celles que je me pose moi-même. Donc, si vous avez d’autres questions, il se peut que cette fichue informatrice secrète se décide à m’indiquer ce que je veux savoir.

- D’accord, nous allons te questionner si c’est ainsi que nous en apprendrons davantage sur nos ancêtres, lui dit un naturel. Bananus vivait en Amérique? Peux-tu nous situer cet endroit? C’est près d’ici?

- Non, il s’agit d’un vaste continent sur lequel vos descendants vont retourner un jour pour y poursuivre leur évolution. On me dit que Bananus quitta l’Amérique en radeau en compagnie des siens et qu’ils arrivèrent en Afrique. J’ignore combien de ses compagnons et compagnes sont avec lui, sauf que la frêle embarcation se maintient sur l’eau par la seule volonté du destin qui désire envoyer vos premiers ancêtres sur un vaste continent où l’homme et le singe vont y évoluer lentement. Une image mentale me montre vos ancêtres qui possèdent des crocs énormes et des mains très larges.

- Ils ressemblaient donc à ce monstre qui apparaît au fond du coffre des Yopis?, questionna un jeune adolescent qui louchait d’un oeil depuis sa naissance.

- Disons simplement que les Yopis voient leur nature primitive, lui répondit Paichel en fermant les yeux pour mieux se concentrer. Je vois une petite bande de terre rocheuse qui relie l’Afrique à l’Australie. Une vingtaine de vos ancêtres africains décident de suivre ce cordon et arrivent sur les mêmes côtes sur lesquelles je me suis fait accueillir par les Yopis. Donc, nous sommes en Australie et votre tribu prend son origine de ces explorateurs africains. Ils vous ressemblent tellement que je ne peux vous mentir à ce sujet. La voix me dit que vos ancêtres voulurent retourner dans leurs villages lorsqu’ils réalisèrent que le sol tremblait de partout. Oui, je vois ceux-ci crier d’effroi en examinant s’effondrer peu à peu, la chaîne de montagnes qu’ils avaient empruntées pour traverser jusqu’ici. On me dit que ce cordon rocheux disparut deux cents ans avant l’Atlantide. Donc, si vous avez rencontré Samia qui disait venir de l’Atlantide, il va sans dire que ce continent existe encore aujourd’hui. Par conséquent, vos ancêtres sont arrivés en Australie il y a moins de deux cents ans. Croyez-moi, lorsque l’Atlantide va s’effondrer, je vous conseille de ne pas vous trouver ici. Je vois un terrible tremblement de terre et un raz-de-marée qui va effacer tout sur la côte où vous vivez présentement. Il faudra vous établir au coeur de l’Australie avant peu. Oui, la voix me dit clairement que l’Atlantide n’existera plus dans cent ans. Vous pouvez en déduire que vos ancêtres sont arrivés ici il y a une centaine d’années et que vous avez encore cent ans pour établir votre village loin des côtes.

- Nous savons que tu es vraiment le missionnaire que nous attendions, lui dit Nelu en souriant. Non seulement tu nous as apporté des précisions concernant nos ancêtres, mais une mise en garde que nous prendrons sérieusement en considération si nous voulons éviter notre perte. J’espère seulement que nos voisins Yopis accepteront de te croire si tu leur parle de la fin de l’Atlantide. Pour eux, nos ancêtres viennent de l’Île feu depuis qu’ils ont entendu Samia décrire l’Atlantide comme un monde peuplé de puissants étrangers venus d’une autre planète. J’avoue qu’il nous fut facile, même à nous, les Ba-Na-Nutes, de s’imaginer que nos ancêtres étaient évidemment ces étrangers qui possédaient des pouvoirs inconnus. Tu comprends que certains frères de race voulurent posséder l’étrange coffre de Samia afin de s’identifier à une race qui vivait sur l’Île feu. En s’en emparant, ils croyaient pouvoir convaincre leurs descendants de l’origine des Yopis. Tu nous dis que nous venons d’Afrique, mais ce continent est une abstraction pour ceux qui n’y ont jamais vécu. Par contre, le trésor que détient les Yopis vient de l’Atlantide et possède des pouvoirs étranges.

- Si je comprends bien, lui dit Paichel en souriant, ce coffre représente un monde auquel vous pouviez vous identifier?

- C’est un peu cela. Il n’y a rien de plus trompeur que la réalité elle-même, lui dit Nelu. Tu nous as parlé de l’Amérique et de l’Afrique qui existent sûrement pour celui qui te croit sincère. Mais aucun Ba-Na-Nute ou Yopis ne connaît ces terres de nos ancêtres. C’est une réalité qui se base uniquement sur une croyance en un missionnaire. Par contre, qui pourra douter de notre origine atlante si nous possédons un objet qui le prouve? Tu me diras qu’il appartenait à Samia, mais comment savoir si l’étranger n’a pas fait ce voyage pour nous apporter un présent de nos ancêtres? Moi je sais que c’est faux et mes frères le savent également. Pourtant, les Yopis parviendront facilement à convaincre les générations futures que ce coffre est celui de leurs ancêtres puisqu’ils le détiennent réellement. Nous serons accusés de menteurs et d’envieux si nous racontons la vérité. Tu vois, la vérité et la réalité se mêlent constamment dans notre tête. On veut savoir la vérité, mais comme on ne peut toujours la vérifier, on se contente de l’imaginer. L’Amérique est là, mais je ne peux que l’imaginer, tout comme l’Afrique. Si tu me racontes le moindre mensonge à leurs sujets, comment pourrais-je le savoir?

- Mais personne ne doit me croire sur parole, lui répondit le missionnaire en soupirant. C’est un fait que les Yopis détiennent une arme maîtresse contre ceux qui voudraient contredire leur origine atlante, mais ce n’est pas ainsi qu’ils obtiendront le titre de civilisés. S’ils possèdent ce coffre d’un Grand-Maître atlante, c’est uniquement depuis qu’ils ont tué un pauvre homme qui ne demandait qu’un peu de nourriture et de repos avant de reprendre sa marche dans le monde. Oui, c’est cela la vérité que les Yopis refusent d’admettre.

Après un court silence, Nelu lui dit :

- Selon toi, les Ba-Na-Nutes risquent de faire la même erreur que les Yopis s’ils possèdent ce coffre qui nous est pourtant destiné?

- Je pense que si Primus Tasal désire vous le confier, c’est pour vous aider à évoluer et non pour vous en servir comme objet de culte et surtout de pouvoir. Tu sais Nelu, il est essentiel de toujours vous rappeler que ce coffre n’appartient qu’à celui qui l’avait confié à Samia. Si ta tribu oublie cela, elle va fatalement sombrer dans l’orgueil et la vanité. Les Yopis sont des imbéciles pour oser s’identifier à des ancêtres qui n’avaient rien de commun avec eux. Cette voix me dit que les Atlantes sont les survivants d’une ancienne planète et non des Terriens d’origines. Ils ne sont pas meilleurs que vous, mais simplement plus évolués. Par contre, ils vivaient dans un monde où il n’y existait pas de guerre et encore moins de violence gratuite comme c’est le cas chez vos voisins. Alors, qu’ils cessent de s’identifier à une race qui recherche la pacification. J’ignore si les Atlantes font en sorte de respecter leur nature arkarienne, puisque c’est le nom véritable de leur ancien monde, mais une chose est certaine en ce qui les concerne : ils ne pourront jamais renier qu’ils viennent d’un monde d’amour. Je veux dire par cela que les Atlantes possèdent naturellement ce goût pour la paix et l’unité entre les êtres. Il se peut fort bien qu’ils perdent un jour ce souvenir lumineux d’Arkara, mais quelque chose demeurera en eux pour leur rappeler que le pouvoir sans amour est comme un humain sans conscience.

Les Ba-Na-Nutes comprirent parfaitement l’importance de rechercher l’amour et non le pouvoir. Tout de même, ils se sentaient menacés par les Yopis qui s’étaient mis en tête de les sacrifier au monstre Nimala. Déjà plusieurs victimes Ba-Na-Nutes et Yopis se retrouvèrent dans le coffre pour tenter de satisfaire le faux appétit d’un simple miroir. Les chefs ambitieux se servaient constamment de ce coffre pour soumettre les membres de la tribu à leurs moindres caprices. On devait obéir ou disparaître au fond du miroir. Jour et nuit, des guerriers surveillaient le trésor des chefs pour empêcher d’autres profiteurs de s’en rendre maîtres. En effet, Yoma, le chef des Yopis était assez intelligent pour reconnaître que son autorité lui venait du coffre et non de ses qualités personnelles. C’était le plus fort physiquement et donc, c’est lui qui détenait le trésor d’Anakilimon. Comme personne n’osait l’affronter de face, on utilisait la ruse pour tenter de s’emparer du coffre. Le chef se débarrassait donc de tous ceux qu’il soupçonnait de vouloir lui voler son pouvoir en les faisant disparaître dans l’étrange miroir. Cet homme-singe dont le corps était rayé comme un zèbre, s’entourait constamment de soigneurs pour qu’ils brossent ses poils. Ceux-ci les léchaient soigneusement pour les mouiller et les peignaient ensuite pendant des heures. Les Yopis méprisaient ces lécheurs du pouvoir, mais il ne fallait surtout pas le laisser paraître, de peur que Yoma prenne cette animosité envers ses soigneurs pour de la jalousie.

Une nuit, le couvercle du coffre s’ouvrit lentement de lui-même et un spectre lumineux en sortit sans que les gardiens puissent le saisir. Ce fantôme qui possédait l’apparence d’un vieil homme au regard très doux, passa simplement près d’eux pour ensuite disparaître sous leurs yeux étonnés. La forme traversa bientôt la hutte où y dormait Paichel et Boubou. Le chien se réveilla aussitôt, mais le fantôme lui dit mentalement :

- Je t’en prie, ne jappe surtout pas pour réveiller le missionnaire. Je suis Anakilimon, le propriétaire du coffre que j’avais confié à mon élève Samia. Je suis venu reprendre ses os afin de les faire ensevelir en Atlantide, là où mon corps y repose également dans un champ fleuri. Mon pauvre enfant pourra ensuite quitter la Terre puisque c’est moi qui veillerai désormais sur ce coffre qui était destiné aux hommes de bonne volonté. Je vais devoir le confier à des amis qui sauront s’en servir pour accomplir des missions comme Fontaimé Denlar Paichel. Les Maîtres de l’invisible réalisent la nécessité d’avoir plusieurs Paichel sur terre pour éveiller les coeurs. Tout ce que je te demande, c’est de garder le secret absolu de ce que je vais te dire. Il faut que j’emprunte l’apparence de votre missionnaire afin de convaincre les Ba-Na-Nutes d’aller se jeter dans le coffre. Rassure-toi, je ne veux pas les faire mourir, mais simplement les envoyer en Amérique. Le miroir est un passage intemporel entre deux époques. Si les Yopis cessent de nuire à leur évolution, les Ba-Na-Nutes auront accès à une foule de connaissances dès qu’ils vivront dans une vaste forêt verte en compagnie d’une colonie atlante qui s’y trouve depuis des centaines d’années. Ils vont les instruire et leur léguer des pouvoirs mentaux d’une rare efficacité.

- Pourquoi me dis-tu toutes ces choses?, semblait lui demander le chien d’un regard troublé.

- Tu es l’ami des Ba-Na-Nutes et de Paichel. Il me faudra ta complicité pour accomplir ma mission et pour obliger mon double ou mon jumeau à quitter l’Australie afin de se rendre en Atlantide.

- En Atlantide? Mais pourquoi lui et pas toi?

- Paichel, le vrai, est celui que les Maîtres de l’invisible désirent envoyer là-bas pour des raisons secrètes. En ce qui me concerne, la mienne est ici puisque je tiens personnellement à veiller sur mon coffre. Donc, lorsque les Ba-Na-Nutes seront tous en Amérique, j’aimerais que tu persuades mon jumeau de partir rapidement vers l’Atlantide.

- Et s’il s’y refuse?

- Oh! Ce missionnaire n’est pas le genre d’homme à refuser un tel voyage s’il apprend que le vin atlante est aussi bon que celui qu’il cultivait sur son ancienne planète. Je ne sais pas si Paichel se souvient d’avoir été le meilleur vigneron d’Arkara, mais dès que tu lui apporteras une cruche qui se trouvait par hasard dans un coin de mon coffre, il voudra connaître ce continent où les vins sont les meilleurs au monde.

- Une simple cruche de vin suffira à le convaincre de partir sur un radeau comme Samia?

- Ce n’est pas son goût pour l’alcool qui l’incitera à risquer sa vie en haute mer, mais le souvenir d’avoir bu quelque chose de semblable lorsqu’il vivait sur Arkara. Pour lui, le vin lui ouvre une porte secrète de sa mémoire, tandis que pour d’autres âmes arkariennes, c’est simplement les rêves et la méditation. Il ne faudra jamais dire à ton ami ce que je viens de te révéler sur lui. Lorsque Paichel sera parti, nous travaillerons ensemble pour aider les Yopis à retrouver leur nature humaine. Présentement, ils agissent comme ce singe féroce qu’ils voient à tout coup sur le miroir de vérité. Un jour, il va leur montrer un autre aspect de leur nature au fur et à mesure qu’ils évolueront dans le bon sens.

- Dans le bon sens, c’est comme les Ba-Na-Nutes?

- Non, comme des Yopis intelligents et conscients de la valeur humaine.

Le fantôme entra dans le corps de Paichel et en sortit ensuite sous son apparence. Le chien vit le double se caresser la tête presque chauve en souriant.

- Il faudra bien que je m’habitue à mon nouveau corps même si j’ai souhaité avoir un peu plus de cheveux sur le crâne. Que veux-tu, je vais m’en consoler en jouant avec cette petite barbiche.

- Paichel a cette manie de faire comme toi.

- Ce n’est pas une manie, mais plutôt une compensation d’après moi. Je vais te faire une confidence qui va bien t’amuser. Lorsque nous vivions sur notre planète, il était habituel de se caresser les cheveux à chaque fois qu’on réfléchissait à une question. Un jour, un enfant se rasa complètement la tête avant qu’un Grand-Prêtre lui demande de bien réfléchir avant de répondre à sa question. Celui-ci ne voulait pas répondre et dit simplement d’une voix espiègle : “ J’aimerais bien réfléchir, mais je n’ai plus de cheveux ”. Ce jeune paysan s’appelait, Mercéür. C’est lui qui vit sur Terre dans la peau de Fontaimé Denlar Paichel.

- Est-ce pour cela qu’il est presque chauve?

- Oh! Je ne peux y réfléchir puisque je n’ai pas assez de cheveux, lui répondit l’autre Paichel en riant discrètement pour ne pas réveiller son double. Je dois retourner chez les Yopis pour préparer la grande bataille qui n’aura pas lieu.

- Ah! Bon! Puis-je savoir pourquoi?

- Mais parce que les Yopis se préparent à envahir le village des Ba-Na-Nutes dans le seul but de faire des prisonniers pour nourrir Nimala. Si je peux les convaincre que Nelu et les siens viendront se sacrifier sans combattre, il n’y aura pas de bataille inutile entre ces deux tribus.

Le faux Paichel sortit de la hutte sans se faire remarquer et Boubou fut donc le seul à connaître son existence. Pour se faire accepter des Yopis, notre missionnaire fit semblant de fuir ce chien féroce qui le talonnait de près en frôlant ses mollets avec ses gros crocs. Mais dès qu’ils furent devant le village ennemi, un combat truqué permit aux Yopis de constater la force et le courage de Paichel. En effet, le chien sauta finalement sur lui, mais pour ensuite se faire jeter au sol par le missionnaire héroïque qui faisait semblant de le frapper partout à coups de pieds. La bête lui échappa de justesse et préféra s’enfuir vers la forêt. Cela fit grand effet sur Yoma et les siens puisqu’ils craignaient terriblement ce chien féroce. On ne pouvait refuser d’accueillir un étranger aussi courageux et surtout, croyons-le, celui qui saurait se faire respecter si le chien s’avisait à rôder près du village.

Les Yopis étaient fascinés par la cruauté de Paichel. En effet, dès que celui-ci trouvait un pacifique parmi cette tribu, il le jetait lui-même dans le coffre en disant froidement qu’il fallait protéger Yoma contre les non-conformistes. Comme le chef voulait la guerre, il ne fallait surtout pas s’embarrasser de ceux qui rêvaient de faire la paix avec les Ba-Na-Nutes. En réalité, Anakilimon se servait de ce prétexte pour envoyer en Amérique tous ceux qui souffraient de la tyrannie du pouvoir axé sur la violence et la bêtise. Après quelques jours, les chefs guerriers finirent par demander à notre homme de limiter les sacrifices avant qu’il décime entièrement la tribu.

- Comment? Vous voudriez que je laisse un seul pacifique corrompre les véritables Yopis?, demanda le missionnaire d’un air hautain. Ce n’est pas le nombre de guerriers qui importe, mais la valeur de ceux-ci. Allez-vous laisser des faibles lâches vous suggérer de faire la paix avec vos voisins?

- Il a raison, s’empressa de répondre l’un des chefs militaires.

- Oui, mais qui fabriquera nos lances et nos couteaux si l’étranger se débarrasse de tous nos artisans?

- Comment oses-tu prétendre que je me débarrasse d’eux?, lui demanda le faux Paichel en le fixant dans les yeux. Voyons, tu sais bien que je les offre en sacrifice pour nourrir votre Nimala!

- Il a encore raison, dit un guerrier en baissant les yeux.

- Tout de même, il faudrait songer à conserver au moins les lécheurs de poils, s’exclama un autre chef d’une voix troublée.

- Pourquoi? Ils sont inutiles comme guerriers, lui dit le missionnaire en se grattant la barbiche. Je vais les sacrifier en dernier, mais ces Yopis ne sauraient même pas tenir une lance correctement. Donc, si vous voulez la guerre, n’espérez pas la gagner avec des lécheurs de poils. Puis, entre-nous, j’ose croire que vous lécherez vous-mêmes les beaux poils de Yoma puisqu’on ne devrait pas laisser ce noble travail à des faibles qui risqueraient de les salir avec leur salive. Non, pour vous prouver que je vous admire, je vais de ce pas en discuter avec votre chef afin qu’il n’accepte plus dorénavant de lécheurs indignes de ce privilège. Un chef aussi prestigieux que Yoma admettra sans peine que seuls les forts devraient avoir le droit de lui lécher les poils.

- Tu devrais attendre un peu avant de lui suggérer une si bonne idée, lui demanda timidement un autre guerrier. Tu dois d’abord sacrifier d’autres indésirables de notre tribu afin d’écarter de notre armée tous les pacifiques. En ce qui concerne les poils, tu pourrais y songer plus tard puisque l’important est de terminer ton excellent travail.

- Ainsi, vous êtes tous d’avis que je fais bien les choses?

- Oui, oui, lui répondirent les chefs sans hésiter.

- Donc, je peux poursuivre les sacrifices sans vous offusquer?

- Oh! Nous admirons ton zèle et t’appuyons sans réserve, lui répondit un guerrier en plaçant sa main sur son épaule.

Anakilimon s’éloigna en souriant à un jeune Yopis qui se mit aussitôt à trembler de peur en voyant le sacrificateur lui faire signe de s’approcher. L’enfant s’exécuta et répondit ensuite à toutes ses questions avant de se faire dire par l’étranger :

- Tu aimes te battre avec tes camarades, tu méprises les Ba-Na-Nutes, tu ridiculises ceux qui disent que les Yopis ont tué un pauvre voyageur et tu souhaites devenir un jour un grand guerrier? Franchement, je ne voudrais pas priver les Yopis d’un jeune qui a de telles ambitions. Tu peux aller en PAIX.

- Tu sais, l’endormi que tu vois là-bas n’est plus mon camarade depuis qu’il affirme que le coffre de notre tribu appartient également aux Ba-Na-Nutes. Je l’ai frappé avant de lui cracher à la figure.

- Il a osé prétendre cela?, lui demanda le sacrificateur d’un air innocent.

- Oui, s’il n’est pas un lâche, il va te le dire lui-même.

Anakilimon marcha d’un pas décidé vers une hutte où un jeune Yopis s’était assoupi devant celle-ci. Il le secoua rigoureusement pour lui dire sans détour :

- Si tu n’es pas un lâche, dis-moi s’il est vrai que tu accuses les membres de ta tribu de conserver un coffre qui appartient également aux Ba-Na-Nutes, vos ennemis.

- C’est la vérité, lui répondit l’enfant en baissant les yeux.

- Tu crois cela?

- Mon père est demeuré dans le village des Yopis, mais ma mère vit chez les Ba-Na-Nutes. Jamais je ne la reverrai si nous nous faisons la guerre. Avant, nous étions une seule tribu et maintenant, il y a ceux qui veulent se battre pour être les maîtres du coffre. Pourquoi fallait-il que cet étranger arrive ici avec un objet qui nous divisa en deux tribus?

L’étranger faillit pleurer en entendant ce pauvre enfant lui parler comme un vrai sage. Sans attendre, il le traîna vers le coffre afin de l’envoyer en Amérique. L’autre jeune cria à la victime :

- Que Nimala te dévore afin que ta mort serve d’exemple à ceux qui parlent en mal de notre tribu.

- Éloigne-toi pendant que je dépose ma victime dans le coffre, cria le missionnaire pour obliger ce jeune Yopis à se tenir à distance.

Il dit calmement à l’autre jeune qui tremblait de peur :

- Aucun monstre ne vit dans ce coffre. Tu vas simplement traverser un miroir et atteindre une fort jolie forêt verte où des amis viendront t’accueillir avec joie. Tu y retrouveras bientôt ta mère puisque tous les Ba-Na-Nutes iront comme toi dans ce nouveau monde. Oui, ferme les yeux et n’aie surtout aucune crainte. Est-ce que tu me fais confiance?

- Je pense que oui, lui répondit la victime avant de passer à travers le miroir.

C’est ainsi qu’un autre Yopis pacifique échappa à la tyrannie de Yoma. Celui-ci réalisait parfaitement que sa future armée ne compterait plus bientôt qu’une centaine de membres, mais les chefs militaires cherchaient à le rassurer en lui disant que l’étranger ne faisait que lui retirer ceux qui étaient inutiles pour faire la guerre.

- Je vous crois, dit Yoma en faisant signe à ses soigneurs de lui lécher les poils. Lorsque mon armée sera prête, nous devrons traverser la forêt avant d’atteindre le village ennemi. Grâce à notre protecteur, le chien féroce n’osera pas nous attaquer. Puis, si l’étranger peut maîtriser une bête aussi puissante, j’aime à m’imaginer ce qu’il est capable de faire à ces faibles Ba-Na-Nutes. En réalité, nous n’aurons pas besoin d’un grand nombre de guerriers pour capturer les futures victimes qui seront offertes à notre monstre Nimala.

- Oui, cet étranger est doté d’une force prodigieuse qui saura bien nous servir dans ce combat, lui répondit l’un des chefs militaires en souriant. Lorsque nous reviendrons avec nos nombreux prisonniers, le sacrificateur préférera les utiliser avant d’autres Yopis.

- Je l’espère bien, lui dit un autre guerrier en soupirant de soulagement.

Au village des Ba-Na-Nutes, le vrai Paichel cherchait encore un moyen de protéger cette tribu contre les Yopis. Le chien ne l’aidait pas du tout à se concentrer puisqu’il affirmait avoir vu des milliers de Yopis faire des exercices avec des armes.

- Je t’en prie, Boubou, cesse d’exagérer ce que tu as vu, lui dit son ami en marchant sur un sentier autour du village. La tribu Yopis compte des centaines de membres et non des milliers.

- Oui, mais comment sais-tu combien de lances un Yopis peut nous envoyer en même temps?

- On dirait bien que tu fais tout pour me rassurer, sacré Boubou!

- Je veux simplement te mettre en garde contre une éventuelle guerre qui fera plus de mal que de bien aux Ba-Na-Nutes.

- Une guerre ne fait jamais de bien à personne, si tu veux mon avis. Il faut chercher à l’éviter mais sans tout de même nous laisser soumettre aux caprices des Yopis.

Le missionnaire demanda à son compagnon d’aller faire le guet dans la forêt afin de venir le prévenir aussitôt en cas de danger. L’armée Yopis pouvait attaquer à tout moment et cela inquiétait grandement notre homme. Il se retira seul dans un coin de sa hutte pour réfléchir. Alors, une voix intérieure lui dit ainsi:

- Mon pauvre ami, pourquoi t’inquiètes-tu autant pour les Ba-Na-Nutes? Nous sommes la voix de ton coeur et non celle de ta raison. Crois-tu que nous t’avons envoyé sur Terre pour te punir d’avoir manqué d’amour envers ton prochain? Souviens-toi de ton ancienne planète et du Coeur fantastique qui répandait sa lumière sur un peuple baigné par son Amour. Comme les autres Arkariens, tu ignorais la différence entre un monde de paix et celui dans lequel tu y vis aujourd’hui comme une brebis, perdue dans un pays gouverné par les loups.

- Qui êtes-vous donc pour savoir toutes ces choses sur mon ancienne planète?

- Nous sommes tes guides invisibles et ta conscience. Tu vois, ton coeur tremble de douleur à l’idée de voir des Ba-Na-Nutes se faire massacrer par les Yopis. C’est cela la compassion envers ton prochain. Nous savons que tu souhaites également éviter cette guerre pour empêcher le sang de couler pour de vaines querelles. Tu penses aux Ba-Na-Nutes, mais aussi aux Yopis qui périront au cours de cette guerre. C’est cela aimer son prochain. Souviens-toi que le Coeur fantastique préféra se faire diviser en deux afin de pouvoir éclairer les fidèles et les infidèles. Il savait parfaitement que les fautifs n’étaient pas tous des ingrats, mais simplement des inconscients. Un jour, tu reviendras dans ton ancien monde lorsque tu auras appris la valeur inestimable de l’Amour.

- Je vous en prie, aidez-moi à empêcher cette guerre stupide entre deux groupes qui vivaient jadis dans la même tribu.

- Alors, souviens-toi de ce que fit le Coeur fantastique pour protéger ses deux peuples.

- Oui, quelques souvenirs me reviennent à l’esprit, s’exclama Paichel d’une voix reconnaissante. Il envoya les fautifs dans un autre canton où la vie y était plus difficile, mais au moins, les loyalistes n’y mirent jamais les pieds par crainte de devoir y perdre leur quiétude.

De ce pas, Paichel se rendit dans la hutte de Nelu pour lui proposer d’abandonner le village aux Yopis.

- Nous n’avons pas l’intention de fuir nos ennemis, lui répondit aussitôt le chef des Ba-Na-Nutes.

- Mais qui te parle de fuir avec les autres membres de ta tribu? Je t’ai dit que l’Atlantide va s’effondrer et qu’il sera indispensable d’établir votre village très loin des côtes. Le faire maintenant ou plus tard n’a rien à voir avec une fuite.

- Si nous le faisons maintenant, les Yopis nous accuserons d’avoir été trop lâches pour les affronter.

- Oh! Pardon! C’est plus important de vous laisser massacrer que de vivre en lâches?

- Tu sais bien Paichel que nos voisins finiront par nous attaquer ici ou ailleurs. Ils veulent des victimes pour leur monstre Nimala et nous sommes malheureusement trop pacifiques pour nous constituer une armée de guerriers efficaces.

- Le temps est votre arme.

- Le temps? Tu veux dire que si la guerre n’éclate pas bientôt avec nos voisins, que nous pourrons la retarder avec le temps? Je regrette, mais nous ne sommes pas des nomades pour nous éloigner indéfiniment de nos ennemis, mais des sédentaires.

- Oui, c’est dans terre que vous allez tous vous retrouver si vous tenez à mourir. Si ce n’est pas dans la terre que vous terminerez cette guerre, c’est dans le coffre.

- Je sais que tu as vraiment envie de me traiter d’imbécile pour refuser de quitter le village avec les autres, lui dit Nelu. Tu peux me le dire sans risquer aucune sanction de ma part.

- Alors, je te dis que tu es un imbécile pour jouer au grand chef d’une tribu qui n’existera plus par ta faute. Si tu veux demeurer ici, je respecterai volontiers ta décision, mais laisse au moins la chance aux autres de décider pour leur vie.

- D’accord, va donc leur parler et dis-leurs la vérité sans plus. Personne ne quittera le village sous le prétexte de se protéger contre un éventuel séisme naturel si c’est cela que tu veux utiliser comme argument de persuasion. Sois sincère en demandant simplement à ceux qui ne veulent pas affronter les Yopis de quitter le village avant le combat.

- Je vais leur dire la vérité en espérant qu’ils comprennent que cela est dans leurs intérêts d’éviter cette guerre en se montrant moins suicidaire que leur chef.

Paichel sortit de la hutte en colère. Il trouvait l’attitude de Nelu vraiment exécrable dans les circonstances. En effet, comment pouvait-il accepter de voir son peuple se laisser massacrer sans au moins chercher à le protéger en abandonnant le village aux Yopis? Le missionnaire croyait fermement que les Ba-Na-Nutes possédaient une chance d’échapper à leurs voisins en se dispersant un peu partout à travers l’Australie. Il se disait que la vie y serait plus difficile au début, mais que les Yopis aimeraient trop leur vie de pêcheurs pour traquer leurs ennemis dans la brousse. L’idée était bonne, mais les membres de la tribu refusèrent de quitter leur village sans Nelu. Paichel leur suggéra d’aller au moins se cacher dans les bois pour entourer l’ennemi lorsque celui-ci entrera au village.

- C’est inutile de vous laisser bêtement surprendre par les Yopis, leur dit le missionnaire.

- Si Nelu décide d’aller se cacher pour quelques jours, nous le suivrons sans discuter, lui répondit un vieux membre de la tribu.

Le missionnaire retourna donc dans la hutte de Nelu pour le supplier d’aller se cacher dans le bois.

- Si tu refuses de fuir, accepte au moins d’aller te cacher avec les autres.

- Que ferons-nous ensuite? Nous attendrons que nos voisins détruisent nos huttes et mangent toutes nos provisions?

- Écoute Nelu, tu ne veux pas fuir et tu ne veux pas que les Yopis détruisent ton village. Donc, tu veux la guerre même si tu connais déjà le nom de la tribu perdante.

- Rien ne dit que nous serons les perdants puisque nous combattrons pour défendre nos biens.

- D’accord, mais si tu veux combattre, commence par développer des stratégies militaires. L’une d’elles consiste à surprendre l’ennemi avant qu’il puisse déployer ses forces. Chez moi on dit que tel est pris celui qui croyait prendre. Pendant que les Yopis vont encercler le village, vous sortirez subitement des bois pour entourer vos ennemis.

- C’est vraiment original comme stratégie. Mais les Yopis n’entreront pas dans notre village s’il est vide.

- Il faut donc leur laisser croire qu’il est encore occupé. Il suffit de confectionner des personnages ou des formes humaines que vous placerez au fond de vos huttes. L’important, c’est de tromper la réalité comme tu le disais dernièrement.

- Oui, la réalité est vraiment trompeuse! Bon, pourquoi pas après tout?

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